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ANALYSES LEXICOMETRIQUES
29 septembre 2019

Dr. Martin MOMHA : LA CONSTRUCTION DISCURSIVE DES CYBER-ARNAQUEURS : ANALYSE RHÉTORIQUE DES PROCÉDÉS DE PERSUASION

CORPUS_ARNAQUEURS

Dr. Martin MOMHA : LA CONSTRUCTION DISCURSIVE DES CYBER-ARNAQUEURS :

ANALYSE RHÉTORIQUE DES PROCÉDÉS DE PERSUASION

 

Dr. Martin Momha

Chercheur en sciences du langage et de la communication

 

Introduction

Le boum des technologies de l’information et de la communication a fait naître sur le web une nouvelle forme de délinquance appelée cyber-arnaque. 90% d’internautes détenteurs d’un compte de messagerie électronique ou interagissant sur des réseaux sociaux ont déjà reçu au moins une fois un message indésirable dans lequel un généreux donateur providentiel propose de leur léguer gratuitement sa fortune colossale. Bien qu’il n’existe pas encore des statistiques internationales actualisées sur la cyber-arnaque, on estime à des centaines de milliers des personnes victimes de ce fléau en recrudescence.  Dans certains états, des gendarmes et des policiers ont été spécialement formés en NTIC pour lutter contre ces nouvelles formes de criminalité. Cependant, malgré de multiples appels à la vigilance sur des médias classiques et des réseaux sociaux, de nombreux internautes, naïvement, continuent de se laisser prendre au piège des escrocs du net. Qui sont les cyber-arnaqueurs ? Où vivent-ils ? Comment ces prédateurs choisissent-ils leurs proies ? Sont-ils des individus isolés ou des groupes organisés ? Comment formulent-ils leurs messages ? Le but de cet article est de dégager les traits caractéristiques de la personnalité énonciative des cyber-arnaqueurs, de décrire leurs modes de communication et d’analyser leurs stratégies de persuasion. Notre approche du corpus constitué se réalise sur un double plan stylistique et logométrique.

Qui sont les cyber-arnaqueurs et comment opèrent-ils ?

La cyber-arnaque est un phénomène contemporain. Depuis presqu’une décennie, de nombreuses investigations policières sont menées en collaboration avec des médias et des sociologues pour tenter de le cerner, de décrire ses manifestations, d’identifier ses auteurs et d’évaluer ses ravages. Dans son émission d’enquêtes France 2 à travers « Envoyé Spécial »  a fait un reportage en Côte-d’Ivoire sur les modes opératoires des cyber-arnaqueurs. Ce sont des individus qui agissent dans un réseau dense aux multiples ramifications internationales mais dont l’épicentre est en Afrique de l’Ouest.

Dans son journal du… la télévision canadienne a dévoilé les visages de quelques escrocs du net arrêtés en fragrant délit de délinquance. Ces êtres virtuels ont des profils humains en déphasage avec l’image de soi qu’ils présentent et incarnent dans leurs messages. Ce sont de jeunes adultes issus des quartiers populaires, désœuvrés, dotés d’une grande intelligence et d’une grande maitrise des techniques de communication. Certains sont titulaires des diplômes universitaires, mais sans travail, ou sous-payés, ils se sont reconvertis dans « tchatche stratégique » sur internet. Ces gentlemen qui se font appelés « brouteurs »  ont fait de la cyber-arnaque leur métier.  Ils maitrisent l’univers numérique et le monde cybernétique. Dragueurs professionnels, ils savent appâter leurs victimes. Leurs activités leurs rapportent en moyenne 50'000 euros par mois. Ils se font souvent traquer par la police, mais, faute de plainte, aussitôt arrêtés et aussitôt relâchés, ces délinquants continuent librement leurs besognes.

Les cyber-arnaqueurs opèrent dans tous les domaines ou l’être humain peut exprimer un besoin ou un désir. Leurs offres alléchantes portent sur l’immobilier (annonce de logement), l’éducation (bourse d’études), le travail (recrutement dans firmes internationales), l’immigration (green-carte américaine), l’emprunt bancaire (prêts à faible taux d’intérêt), les jeux de hasard (gain de loterie), les sentiments (promesse d’amour ou de mariage), la donation (legs, héritage), etc. Quel que soit le secteur, toutes leurs opérations de charme se passent par le langage et dans la communication.

Les services de police ont catalogué les « brouteurs » dans le registre des associations de malfaiteurs ou des organisations dites  « criminelles ». En effet, l’argent issu de la cyber-escroquerie fait tourner une économie souterraine au même titre que la vente des stupéfiants et la prostitution. Il confère à ses auteurs malhonnêtement de la puissance, de l’audace, de la visibilité et un certain standing social. Les cyber-arnaqueurs forment un groupe social hétérogène, certes, mais soudé par un même idéal, assujettis aux mêmes protocoles de fonctionnement. Ils arborent une identité commune, utilisent un même langage et développent les mêmes tactiques de manipulation. Ces constances permettent dans une approche isotopique de dresser leur portrait archétypal et d’intégrer leurs messages dans le paradigme des formations discursives institutionnalisées, c’est-à-dire « un regroupement d’énoncés dispersés entretenant entre eux une relation essentielle de filiation et définissant une identité énonciative circonscriptive ».

 

Portrait archétypal des cyber-arnaqueurs

Les cyber-arnaqueurs sont des producteurs et des modalisateurs des discours d’arnaque sur le web. Comme au théâtre, ces êtres virtuels qui parlent à la première personne du singulier, arborent des profils  identitaires qui rendent vraisemblables leurs personnalités. Leur ethos discursif fluctue en fonction des domaines de spécialisations. Ils peuvent être des hommes ou des femmes, filles ou garçons, des retraités ou des cadres en activité, des agents ou des patients. Dans le corpus que nous avons constitué, six éléments constants permettent de dresser leur portait archétypal et prototypique : l’identité nominale, la nationalité d’origine, le sexe, la situation familiale, l’état de santé, la fortune, les valeurs incarnées. Le tableau ci-après visualise de façon panoramique le profil de ces auteurs :

L’identité des sujets énonçants dans des discours d’arnaques est modulée en fonction de la communauté d’appartenance des personnes auxquelles ils s’adressent.  Dans les messages électroniques qu’ils envoient aux destinataires francophones, les cyber-arnaqueurs s’affublent de noms à consonances françaises ou québécoises. Ces masques patronymiques et onomastiques sont des techniques de camouflage dont le but est de détourner l’attention des destinataires sur leur supercherie et d’ôter tout soupçon sur leurs origines réelles.

En ce qui concerne le genre de ces sujets dans le domaine du « don gratuit » qui nous intéresse, on se rend compte en parcourant les dix messages du corpus que tous les cyber-arnaqueurs incarnent discursivement une identité féminine.  L’âge ou la date de naissance de ces êtres virtuels est parfois énoncé, parfois éludé. La féminisation des personnages dans le discours d’arnaque est une tactique de persuasion fondée sur  une intuition de crédibilité. Il parait qu’en matière de sincérité, on croit plus aux paroles des femmes qu’à celles des hommes. Ainsi, un message envoyé par une femme a plus de chance d’émouvoir, de séduire ou de convaincre qu’un message envoyé par un homme.

S’agissant de la nationalité ou du pays d’appartenance, certains « brouteurs » n’hésitent pas dans leur exorde à déclarer leur citoyenneté. Les nations dont ils énoncent prétendument être des ressortissants sont le plus souvent des pays francophones industrialisés. Dans les dix messages de notre corpus, les destinateurs sont originaires de la France, de la Belgique, de la Suisse, du Canada. Ces pays sont choisis par pure stratégie de persuasion : ils représentent pour la l’imaginaire des communautés francophones des références en matière d’intégrité morale, de justice sociale et de niveau de vie.

Enfin, en ce qui concerne leur situation familiale, les cyber-arnaqueurs tels qu’ils se présentent dans leurs messages sont des personnes solitaires, désocialisées, veuves, orphelines, sans progénitures, sans amis, sans familles et sans héritiers. Ils sont soit victimes d’un système politique répressif, soit des patients atteints de maladies incurables en phase terminale. Ils croient en Dieu et disposent de biens et des fortunes dont la moyenne est de 500.000 euros. Ils sont charitables, généreux et prêts à léguer leurs fortunes aux particuliers qu’ils choisissent  au sort pour des projets humanitaires ou l’accomplissement des œuvres caritatives en faveurs des enfants et des familles démunies.

 

 

Constitution et prétraitement du corpus

 

Le corpus qui sert de base à nos analyses se compose de 10 courriers indésirables que nous avons reçus et stockés dans notre boite de messageries électroniques. Ces pourriels ou ces spams nous ont été envoyés entre le 08 juin 2009 et le 25 mai 2014 par des destinateurs ne faisant pas partie du répertoire de nos correspondants. Pour faciliter la référence aux textes,  nous avons attribué à chacun d’eux un titre correspondant au nom de son auteur et nous les avons classés par ordre alphabétique. Lors de la citation, les noms des auteurs seront remplacés par des initiales. Par exemple le message  de Sylvie Robert sera simplifié par « SR ».

 

Article en en finalisation....

 

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